Resumes

Colloque Expressions territoriales du pouvoir de l’Antiquité à l’époque moderne

(Nice - 21-23 juin 2023)

 

Programme / résumés :

Mercredi 21 juin

Session - Pouvoir central et pouvoir local (présidents de session : Frédéric Hurlet puis Elie Haddad)

Christophe BADEL (PR, Université de Rennes 2, France) - Les sénateurs provinciaux de l'empire romain : mythe ou réalité (Ier-IIIe siècle) ?

Les sénateurs provinciaux sous l’Empire romain : mythe ou réalité (Ier-IIIe siècle) ? Depuis plus d’un siècle, l’évaluation du poids des sénateurs d’origine provinciale (par opposition aux Italiens) constitue un grand « classique » de l’historiographie de l’Empire romain. Leur accroissement progressif apparaît en effet comme un des grands succès de l’intégration impériale et certains historiens modernes en ont déduit l’existence de clans régionaux au Sénat. Cependant, le lien de ces sénateurs avec les divers territoires provinciaux n’est pas si évident si l’on considère qu’un sénateur devait domicilier un tiers de ses terres en Italie et qu’il n’avait pas le droit de quitter la péninsule sans l’autorisation de l’empereur. Le but de cette communication est donc de réexaminer l’ancrage territorial des sénateurs provinciaux avec leur terre d’origine, à travers les marqueurs matériels (domaines, monuments, évergétisme) et les réseaux humains (clientèles et alliances matrimoniales). Elle sera spécialement attentive au maintien de cet ancrage, passée la première génération. L’enjeu sera de déterminer si la catégorie « sénateurs provinciaux » est seulement valable pour les hommes nouveaux mais possède aussi un sens pour leurs descendants. Il est aussi de voir le rythme et l’ampleur de la « déterritorialisation » impliquée par l’intégration impériale.

 

Anne-Florence BARONI (MCF, Université Paris 1- Panthéon Sorbonne, France) - L’expression territoriale du pouvoir dans les pagi des colonies romaines d’Afrique et de Numidie (28 av. n. è. – milieu du IIIe s. de n. è.).

La communication se propose d’étudier l’expression territoriale du pouvoir à travers l’exemple du pagus en Afrique, entendu comme circonscription territoriale d’une colonie romaine (M. Tarpin). Elle privilégiera la documentation (essentiellement épigraphique, mais aussi littéraire, juridique, gromatique, voire archéologique, grâce aux prospections récentes) des dépendances des trois colonies romaines créées par Octavien pour organiser le territoire de la province d’Afrique vers 28 av. n. è. et pourvues d’une immense pertica divisée en pagi : Carthage, Sicca Veneria (Le Kef) et Cirta (Constantine). On n’exclura pas cependant d’autres colonies, comme celle d’Ammaedara, créée vers 75 après le départ de la IIIe légion Auguste.

Au cours du Haut-Empire, les pagi ont été des « laboratoires de la vie municipale » (M. Christol). Au terme d’un processus de maturation institutionnelle qu’il conviendra d’éclairer, certains sont finalement détachés du territoire colonial pour devenir des cités à part entière au cours du IIIe s. S’interroger sur l’expression territoriale du pouvoir dans les pagi permet d’analyser les étapes et les leviers de leur évolution institutionnelle et, à travers elle, la romanisation juridique à une échelle plus fine que celle de la cité, plus fréquemment étudiée.

On verra ainsi grâce à quels documents et à partir de quelle date les limites territoriales du pagus peuvent être distinguées – notamment grâce aux bornes érigées par le pouvoir romain, ou aux manifestations des autorités locales, de la colonie ou du pagus.

On s’intéressera également au dialogue entre les élites du pagus et le pouvoir impérial, seul dispensateur des promotions juridiques. Ce dialogue peut être distinct de celui établi par la colonie. Il est donc nécessaire de s’intéresser au rôle des intermédiaires : les relais de l’autorité romaine, en particulier le proconsul d’Afrique et le légat de légion, mais aussi les membres de l’élite locale qui sont parvenus à intégrer les aristocraties d’Empire, l’ordre équestre et surtout l’ordre sénatorial. Le territoire du pagus est en effet le lieu de la mise en valeur agricole, et le poids de l’Afrique dans le ravitaillement de Rome à partir de la fin du Ier s. a offert aux propriétaires de grands domaines à la fois une fortune et une position économique et politique qui ont servi leur ascension sociale.

Enfin, l’évolution institutionnelle des pagi constatée tout au long du Haut-Empire pose la question des compétences déléguées aux autorités du pagus et de l’autonomie par rapport au chef-lieu de la colonie, qui permet au terme du processus la promotion au rang de cité. Elle permet également de revenir sur le statut des personnes sur le territoire de la colonie et sur la théorie (qu’aucune source ne permet de confirmer) de l’opposition juridique et de la coexistence territoriale du pagus de citoyens romains et du castellum considéré comme pérégrin.

 

Fanny COSANDEY (DE, EHESS-CRH, France) – Le domaine royal, entre assise du pouvoir et connaissance des terres.

En France, le domaine royal fait intrinsèquement partie de la légitimation du pouvoir. Élément essentiel de la construction théorique, il est constitué d’une assiette foncière dont les contours restent très incertains. Or, la référence à la terre est une donnée constante du discours sur les origines de la puissance publique et sur la capacité royale à « vivre du sien », à savoir des revenus de son domaine. La présente communication s’interrogera alors sur les liens entre la terre et les droits du roi, en tentant de comprendre tout à la fois ce que la monarchie connaît de son patrimoine foncier, par quels moyens elle en dispose et quels bénéfices politiques elle tire d’une ressource dont l’évolution rend la maitrise extraordinairement complexe.

 

Guillaume CARRE (DE, EHESS-CRJ, France) - Les maîtres des provinces : les territoires des daimyô dans le Japon des Tokugawa.

Le régime shogounal des Tokugawa (17e-19e siècles) reposait sur un partage du territoire entre les territoires du shogoun, et une multitude de principautés seigneuriales, plus de 270 dans les années 1860. Les seigneurs féodaux (les daimyô) tenaient formellement leurs territoires d’une concession shogounale, régulièrement confirmée (ou non). Ces principautés sont appelées dans l’historiographie par le terme « han », à l’imitation de l’histoire chinoise, mais il ne s’agit en rien d’une dénomination officielle. En réalité, ces petits seigneuriaux étaient désignés et délimités en fonction d’une géographie administrative bien plus ancienne, qui ne recouvrait plus aucune réalité effective, mais renvoyait toujours les liens entre le shogoun et les daimyô à des formes révolues, bien que toujours prestigieuses, de légitimité. Par ailleurs les daimyô eux-mêmes, dans des territoires fréquemment morcelés, affirmaient l’existence de leur Etat et leur autorité par la présence de capitales dotées de châteaux, éventuellement des simulacres de château, sous le contrôle soupçonneux des Tokugawa. En nous basant principalement sur l’exemple de la principauté de Kaga, nous présenterons succinctement quelques principes de l’expression symbolique et matérielle de la domination des maisons seigneuriales sur leurs domaines.

 

Jeudi 22 juin

Session - Expressions monumentales et marquages de l'espace (président de session : Laurent Schneider)

Pierre MORET (DR, UMR 5608 Traces, France) - Stèles, châteaux et maisons fortes : marqueurs spatiaux des aristocraties guerrières dans l’Ibérie de l’âge du Fer et du début de l’époque romaine.

Cette communication envisage sur le temps long, celui du premier millénaire avant notre ère, la façon dont des aristocraties locales ont imprimé leur marque sur les paysages de certaines régions de l’Espagne et du Portugal, selon des modalités territoriales et architecturales diverses. Des stèles à représentations de guerriers du premier âge du Fer aux maisons fortes du début de l’époque romaine, les exemples convoqués montrent comment ces élites dont le pouvoir repose sur des valeurs guerrières se mettent en scène dans le territoire plutôt qu’à l’intérieur des enceintes urbaines.

 

Gwenaëlle DEBORDE (Doctorante, Sorbonne Université, France) - Les manifestations territoriales du pouvoir judiciaire romain dans les provinces occidentales : étude des termini sous le Haut Empire (Ier- IIIe siècle).

Les termini -ou bornes territoriales- sont des sources qui nous permettent d’appréhender l’organisation du territoire dans l’empire romain. Présents dans l’ensemble du bassin méditerranéen, ils marquent la limite des terres à plusieurs échelles : individuelle -entre deux propriétaires-, locale -entre deux communautés-, ou encore provinciales. Certaines de ces bornes sont le support d’inscriptions judiciaires qui témoignent de controverses territoriales entre des communautés locales (cités, peuples ou ensembles infra-civiques) jugées par le gouvernement provincial romain. Dans l’Empire romain, le pouvoir judiciaire est moins incarné par des lieux que par des hommes qui sont investis de cette fonction le temps d’une magistrature, ou encore de l’arbitrage d’une affaire. Les termini, et les inscriptions qu’ils portent, ancrent cette activité et ce pouvoir dans l’espace et restent les témoins des décisions de justice qui ont été prises.

Les termini : des marqueurs des juridictions locales et provinciales

L’étude des termini nous permet de mieux appréhender, et parfois même de cartographier, les limites de juridiction de chaque communauté. Cet enjeu de délimitation spatiale est crucial, puisqu’en circonscrivant les terres appartenant à chaque groupe civique, elle permet de mesurer le nombre d’administrés sous leur autorité et ainsi de déterminer l’impôt qui peut être prélevé. Dans l’empire romain, les communautés sont autonomes mais ne sont pas indépendantes, les termini nous permettent aussi de dessiner les limites juridictionnelles locales face à l’autorité provinciale notamment dans le domaine judiciaire. Lorsqu’elles sont confrontées à des affaires ou encore à des adversaires qui ne sont pas sous leur autorité, nos sources témoignent de la façon dont ces communautés, soumises au pouvoir romain, s’emparent des procédures judiciaires proposées par Rome pour obtenir réparation.

Les termini : des marqueurs spatiaux du pouvoir judiciaire romain dans les provinces

La forme duale que prennent ces sources, qui peuvent être étudiées aussi bien pour leur contenu textuel que dans leur matérialité, nous pousse à questionner le rôle des termini dans l’affirmation du pouvoir romain sur les territoires locaux. Les inscriptions épigraphiques ont pour fonction d’être durables, commémoratives mais aussi publiques. Graver le verdict ou une partie de la sentence d’un procès n’est donc pas un acte anodin, il permet de donner à la limite territoriale ainsi établie -ou parfois réaffirmée- une légitimité durable que seule pouvait offrir le pouvoir romain. L’étude du vocabulaire retrouvé dans ces inscriptions permet d’étayer cette idée. De plus, ces sources matérialisent le pouvoir judiciaire romain qui est bien souvent difficile à appréhender, du fait de l’absence de lieu particulier dédié uniquement à cette activité. Ces bornes sont donc l’une des incarnations du pouvoir judiciaire et, ainsi, de l’autorité romaine, sur les territoires de l’empire.

 

Coline POLO (Chercheuse associée, UMR 5648 CIHAM, France) – Construire pour dominer. L’exemple des résidences aristocratiques du Comtat Venaissin à la fin du Moyen âge.

L’installation des papes à Avignon en 1309 entraîne des changements dans l’organisation des seigneuries et bouleverse les contours de l’aristocratie comtadine. Elle amplifie la mise en mouvement des aristocrates, en multipliant les opportunités sociales et en intensifiant la logique de conquête des territoires. Ce double processus a accéléré la mobilité ascendante ou descendante de certaines branches des familles aristocratiques installées depuis un temps plus ou moins long dans le Comtat. Cette communication s’attachera à étudier les caractéristiques de l’ancrage territorial de l’aristocratie comtadine à la fin du moyen âge. Son objectif est de souligner comment stratégies d’implantations et prééminence sociale sont étroitement liées. Elle s’articulera autour de trois grands axes : la matérialité des espaces aristocratiques, la spatialisation de la mobilité sociale et enfin l’exemple du rôle des bastides dans la structuration du territoire.

Choisir comme lieu de résidence telle seigneurie ou tel quartier plutôt qu’un autre, est une manière de construire son identité, d’ancrer son pouvoir spatialement et d’inscrire le lignage dans un espace qui participe à le distinguer. Leur implantation peut refléter leur implication politique au sein de centres urbains, ou encore leurs alliances matrimoniales. La localisation du bâtiment résidentiel donne également des renseignements sur les liens entretenus avec les autres aristocrates ou encore avec la communauté d’habitants : de la volonté d’intégration à la mise à distance.

L’appartenance sociale est donc médiatisée par l’appartenance spatiale. Les aristocrates, au moyen de leur réseau de résidences, occupent l’espace à une double échelle : le lieu de résidence et le territoire au moyen de l’itinérance. Cette multi-résidence rend visible leur pouvoir et leur supériorité sociale. Lorsqu’ils sont absents, les aristocrates délèguent leur contrôle afin d’assurer la permanence de leur domination sur cet espace.

Afin de penser ce lien entre ancrage spatial des aristocrates, dynamiques de peuplement, et mise en valeur du territoire, nous développerons l’exemple d’un « habitat-relais » usité dans le Comtat Venaissin : la bastide. Nous nous questionnerons sur la raison de leur développement : Est- ce un mode d’encadrement qui permet aux franges basses de l’aristocratie d’exercer leur domination ? Résultent-elles du morcellement des patrimoines familiaux ou de l’ouverture de l’aristocratie ?

 

Aude LAZARO (Doctorante, Université Côte d’Azur, UMR 7264 CEPAM, France) - Les fourches patibulaires, symboles de pouvoir et marqueurs territoriaux en Provence orientale de la fin du Moyen Âge à l’époque moderne. 

Lieux d’exécution et d’exposition des corps des condamnés à mort, les fourches patibulaires (ou gibet) faisaient partie du vaste arsenal judiciaire permettant aux seigneurs d’exercer leur autorité. Composées de piliers ou de poteaux réunis en leur sommet par une ou plusieurs traverses de bois, les fourches patibulaires servaient en effet à la pendaison de ceux reconnus coupables de meurtre, vol ou encore sédition.

Si la peine n’était pas seulement rétributive mais aussi exemplaire et dissuasive, les fourches, dans leur dimension tangible, participaient à la mise en place d’un « décor justicier » (Prétou 2019). Symboles de pouvoir pour leurs possesseurs, certains des lieux, implantés à la frontière entre deux territoires, se sont également révélés être des marqueurs territoriaux, manifestant, de même que les bornes, l’emprise des seigneuries.

Le cadre géographique retenu porte sur la Provence orientale, espace frontalier entre la mer et les Alpes et objet de nombreux conflits, rivalités et luttes territoriales. Les premières attestations de fourches patibulaires en Provence orientale – à l’instar de ce qui s’observe à l’échelle de la France – datant du milieu du XIVe siècle, et la pendaison ayant été abolie (sauf quelques exceptions liées au régime judiciaire du royaume de Piémont-Sardaigne) au profit de la décapitation à la fin du XVIIIe siècle, le travail mené couvre essentiellement le second Moyen Âge et l’époque moderne.

Le corpus retenu se base sur les résultats d’une campagne de prospections thématiques menées en 2022 sur les fourches patibulaires des Alpes-Maritimes. Exploitant documents d’archive et données de terrain, ce travail mobilise principalement les données toponymiques, tant celles issues de la BD TOPO® proposée par l’Institut national de l'information géographique et forestière que celles compilées dans les cartes anciennes.

Qu’il s’agisse des fourches du Broc édifiées à la frontière des territoires du Broc et de Carros, de celles de Saint-Paul-de-Vence, à cheval sur le territoire de Saint-Paul-de-Vence et celui de la Colle-sur-Loup, ou encore des fourches de Tourrettes-sur-Loup à la frontière du territoire de Vence, cette communication se propose d’étudier les logiques d’implantation des fourches patibulaires en Provence orientale, à la fois marqueurs spatiaux du pouvoir et « outils de délimitation territoriale » (Challet 2015), mais aussi la pérennité des toponymes et ce qu’elle révèle de la projection du pouvoir sur l’espace.

 

Fadila HAMELIN (Doctorante, Rennes 2, France) - Chapelle, manoir, prison, moulin banal et enclos : l’expression territoriale du pouvoir au sein des granges cisterciennes bretonnes du XIIe au XVIIIe siècle.

À l’échelle de six temporels monastiques sur l’ancien duché de Bretagne, les cisterciens ont mis en place des seigneuries foncières et banales se superposant à l’espace grangier. Les manifestations de leur pouvoir sur le territoire s’expriment par des marqueurs monumentaux, parfois ostentatoires, implantés sur le domaine des granges que sont le manoir, le moulin à eau ou à vent banal et les différents enclos. La possession de la haute justice se manifeste par présence d’un auditoire, de prisons et de fourches patibulaires. Mais la dimension immatérielle de leur pouvoir s’applique davantage au champ religieux par l’association régulière d’une chapelle et d’un marché ou d’une foire. Ainsi, l’encadrement et la régulation des activités commerciales se placent sous le patronage d’un saint et génèrent des revenus attachés aux taxes prélevées sur les marchandises et sur les droits de passage dont les nombreux enclos grangiers forment parfois l’outil de cette captation.

La territorialisation des temporels cisterciens se traduit enfin par une réflexion à plus grande échelle sur les différentes composantes du maillage territorial conçu par les religieux : centre de la grange, fermes annexes, entrepôts situés à proximités de ports fluviomaritimes, voies terrestres et maritimes et maisons de ville, ce qui pose d’ailleurs la question du statut de ces possessions rurales et urbaines.

Dans une démarche antéchronologique, la méthode adoptée croise les sources textuelles, planimétriques et archéologiques sur un temps long et à plusieurs échelles afin de mettre en évidence les particularités et les récurrences des temporels bretons en utilisant, notamment, un logiciel de cartographie de type SIG. Cet outil met en évidence la perte progressive du rôle polarisateur et de relais abbatial de la grange au profit de nouvelles modalités de l’exercice du pouvoir, tant sur le plan humain, symbolique que monumental. Mais la fin de l’expansion des temporels monastiques ne signifie pas l’absence de conflits entre seigneuries voisines. Si la période d’expansion des domaines monastiques est close au XVe siècle, les collaborations entre religieux et aristocrates locaux sont surtout perceptibles à l’époque médiévale avec la création de villages ou le co-financement de moulins seigneuriaux. Quelques siècles plus tard, les archives ne livrent que le témoignage de querelles portant essentiellement sur les droits seigneuriaux.

 

Session - Concurrences et conflits (présidente de session : Fanny Cosandey)

Brice RABOT (PRAG, Nantes Université, France) - Les expressions territoriales du pouvoir seigneurial en Bretagne méridionale face aux tournants des XIVe et XVe siècles.

Les campagnes de Bretagne méridionale – qui peut être divisée en deux sous-ensembles : pays vannetais et comté de Nantes – connaissent de profonds bouleversements au cours des xive et xve siècles qui mettent à mal les expressions territoriales de l’autorité seigneuriale. Les affrontements armés dans le cadre de la guerre de Succession de Bretagne (1341-1365), suivis par ceux de la guerre de Cent Ans (1337-1453) et avec le royaume de France dans la seconde moitié du xve siècle (1468 et 1487-1491) obligent les seigneurs à entreprendre des reconstructions et à adapter leurs exigences en faisant appel à de nouveaux relais et réseaux. L’émergence et la consolidation des domaines congéables en Vannetais, le renforcement progressif des métairies en comté de Nantes au cours du xve siècle transforment à la fois les paysages mais aussi les relations entre les détenteurs d’autorité – les seigneurs et leurs officiers – et les tenanciers. Ces inflexions sont parfois délicates à saisir dans les sources bretonnes tardo-médiévales, faute de suivi chronologique suffisant, mais aussi faute de références explicites dans les actes.

Il convient dans ces conditions de croiser les informations tirées des sources économiques – registres de compte, aveux et dénombrements – avec les traces du bâti. Le semis de manoirs, qui a fait l’objet de nombreuses études pour cet espace, est l’un des signes les plus manifestes. Il n’est néanmoins pas le seul. Les prisons, les lieux où se tenaient les assises seigneuriales ou encore les lieux de rassemblement des tenanciers pour s’acquitter des prélèvements – greniers et granges – interrogent eux aussi les rapports à l’autorité et la territorialisation du pouvoir, dans un contexte de dispersion des hommes dans les bocages de l’Ouest. Les ducs de Bretagne viennent concurrencer le pouvoir des seigneurs – à tous les niveaux de la hiérarchie – avec des patrimoines disséminés eux aussi, qui s’imbriquent plus ou moins aux possessions des autres nobles et sieurs.

Les données tirées de l’étude de seigneuries doivent être remises en perspective avec celles du sous-ensemble régional pour tenter de comprendre les ressorts et les logiques d’organisation des territoires. Cette communication se propose de revenir sur ces thématiques en questionnant les rapports entre les hommes, l’autorité – ducale et seigneuriale – et les territoires à différentes échelles pour dégager quelques lignes de force, à l’aune des dernières recherches menées en Bretagne méridionale.

 

Hervé CHOPIN (Chercheur associé, UMR 5138 ARAR Lyon, France) - Les limites occidentales de la Savoie au XVe siècle : l’exemple de la Saône.

La principauté de Savoie n’a eu de cesse de s’agrandir entre le XIIIe siècle et le XVe siècle et plus particulièrement dans ses marges occidentales, repoussant toujours plus loin ses limites, au point d’atteindre la Saône. En arrivant à cette rivière, limite entre le royaume de France et l’empire, les ducs se trouvent pris dans un jeu de pouvoir entre d’un côté des communautés ecclésiastiques qui disposent de possessions outre-Saône bien que situées dans le royaume comme les abbayes de Tournus, Cluny, Ainay ou l’Île-Barbe à Lyon, l’Eglise de Lyon mais aussi le duc de Bourbon, héritier des possessions beaujolaises en terre d’Empire. Ainsi, au XVe siècle, la Savoie multiplie les accrochages avec ces différents acteurs forçant ainsi le roi de France à intervenir. Les enjeux sont bien des enjeux de pouvoir qui passent par les limites de ces Etats. Ainsi, le marquage des limites par des panonceaux de bois, puis de pierre est réclamé par Louis XI en 1476 afin de les consolider et d’éviter ainsi leur destruction. Ces enjeux de pouvoir passent par la possession de places fortes comme celle de Vimy qui est échangé en 1435 par l’abbé de l’Île-Barbe Aynard de Cordon à Amédée VIII, lui donnant accès directement à la fois à une des places fortes importantes sur la rive gauche de la Saône mais aussi à un des principaux ports sur la Saône en amont de Lyon. Enfin, à travers différents exemples pris dans les documents nombreux conservés à Lyon, à Turin ou à Dijon, il est possible de retracer les échanges et les traités passés entre le roi et le duc, mais aussi les moyens mis en œuvre afin de réunir les arguments permettant de justifier ces limites et ses prétentions.

 

Raphaël MORERA (CR-CNRS, EHESS-CRH, France) - L’eau, le roi et les seigneurs en Île-de-France à l’Époque moderne.

L’eau, sous ses différentes formes, est à la source l’activité économique moderne. Collectée par le drainage ou l’irrigation, elle est nécessaire à l’élevage ou l’agriculture. Canalisée et orientée, elle soutient la navigation et anime les machines dédiées à la production manufacturière ou les moulins les plus simples. Dans l’Île-de-France moderne, le mouvement de croissance économique et démographique se traduit par une course à l’eau effrénée. Les besoins en farine de la ville de Paris augmentent autant que la demande en produits transformées, qu’ils soient textiles ou métallurgiques. Le dynamisme de la capitale implique ainsi une mobilisation de plus en plus intense de l’énergie motrice de l’eau.

À l’état naturel, un cours d’eau divague et forme des marais au sein de son lit majeur. De même, les dépôts alluvionnaires en modifient régulièrement le tracé et ralentissent la vitesse d’écoulement. Le flux de l’eau est ainsi la manifestation d’une organisation plus ou moins hiérarchisée selon les cas, il est le fruit de l’exercice d’un pouvoir. Le droit coutumier de la vicomté de Paris, dont ressortissent les questions relatives à l’eau, prévoit la répartition des usages dans le cadre seigneurial et envisage prioritairement la meunerie. À l’inverse, la croissance industrielle bénéficie essentiellement du soutien de la monarchie, notamment par l’établissement de manufactures privilégiées. Le long des rivières, habitants et propriétaires, les seigneurs et leurs officiers, mais aussi la monarchie et ses représentants, dessinent par leurs interactions une hydrographie qui est aussi une pratique du territoire.

L’objectif de cette communication consiste donc saisir le flux de l’eau en tant qu’expression d’un système normatif et par conséquent, d’analyser les conflits de l’eau en tant qu’oppositions entre logiques normatives. Elle sera construite autour de l’hypothèse que l’optimisation des usages de l’eau s’est faite dans une recherche constante d’équilibre entre des logiques normatives discordantes se concrétisant par une modification substantielle des modes d’administration des territoires franciliens.

 

Sandro GUZZI-HEEB (Maître d’enseignement et de Recherche, Université de Lausanne, Suisse) - Pouvoirs religieux et construction de l’espace dans l’Entremont valaisan (1500-1850).

Il serait apparemment assez simple de représenter les pouvoirs spirituels et séculiers dominants dans la région de l’Entremont – dans le canton Suisse du Valais – à l’époque moderne. On pourrait proposer, comme le font la plupart des livres d’histoire, une carte qui indique les sphères d’influence de l’Abbaye de St-Maurice – l’une des plus anciennes d’Europe -  et du prieuré du Grand St-Bernard, éventuellement avec les territoires des paroisses respectives.

 

Mais ne serait-ce pas une grave simplification ? Une carte donnerait l’impression d’espaces homogènes et bien définis, ce qui est une illusion. Qu’est-ce qui définit donc cet espace que nous appelons l’Entremont, représenté le plus souvent sur deux dimensions ? A-t-il un volume, une hauteur ?

En travaillant sur les confréries catholiques dans l’arc alpin entre 1700 et 1850, nous nous rendons compte que les pratiques des individus se réfèrent régulièrement à des croyances dans lesquelles le ciel, tel qu’il est conçu dans le catholicisme, occupe une position centrale. Ce ciel n’est pas une abstraction, mais il occupe un espace défini, bien que souple, qui est en relation étroite avec la terre, la nature et les humains. Il suffit d’étudier les ex-voto de la région pour s’en rendre compte.

De l’autre côté, les limites de la paroisse, voire de la commune, représentent des frontières significatives, bien qu’elles n’aient jamais empêché des échanges avec l’extérieur ni des divisions internes. Le développement religieux depuis la Contre-réforme complexifie cet espace, en encourageant un fort investissement en œuvres pieuses locales, qui renforcent l’autonomie des villages et modifient leurs rapports avec le ciel. En effet, chaque fondation pieuse établit une relation particulière avec une portion d’espace, qui doit assurer le capital et les rentes relatives, souvent en nature.

Notre contribution entend prendre au sérieux les représentations spatiales des actrices et acteurs de l’époque moderne pour comprendre comment elles/ils occupent et modifient leurs espaces, en relation souvent conflictuelle avec les pouvoirs religieux. Il s’agit de comprendre les fondements d’un modèle de développement que nous pourrions définir « l’économie catholique du salut », ainsi que ses limites et ses transformations. Cette approche permet à notre sens de relire l’histoire moderne des sociétés rurales catholiques.

 

Vendredi 23 juin

Session - Communautés et dynamiques locales (présidente de session : Frédérique Bertoncello)

Michel CHRISTOL (PR, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, France), Marie-Jeanne OURIACHI (MCF, Université Côte d’Azur) et Laurent SCHNEIDER (DR-CNRS, Directeur des études cumulant EHESS, UMR 5648 CIHAM) - De la fin du IIe s. av. J.-C. au VIIIe s. apr. J.-C. : espaces de vie des communautés et centres du pouvoir dans le Bas-Languedoc méditerranéen.

Cette communication est centrée sur la manière dont le cadre de vie des communautés implantées entre Rhône et Narbonnais a été remodelé par une puissance extérieure, qu’il s’agisse de Rome ou du royaume wisigoth (lorsque cet espace prend le nom de Septimanie) dans une longue durée qui s’affranchit de la périodisation classique, pour relier une histoire traditionnellement écrite du point de vue de l’Antiquité et une autre appréhendée dans l’optique du Haut Moyen-Âge.

Nous mettrons l’accent sur les scansions d’une histoire que dessinent les interactions (placées sous le signe de la violence et/ou de la négociation voire de l’intégration s’agissant des aristocraties) entre pouvoir central et populations locales, en nous focalisant sur leurs répercussions du point de vue des structures spatiales (rôle polarisant des chefs-lieux de cités au sein de la province, restructuration liée à l’émergence des sièges épiscopaux, de castella et castra…etc.). Ces évolutions seront analysées au prisme des impératifs politiques et géopolitiques mais aussi du contexte économique et des contraintes naturelles qui ont joué un rôle dans le processus de déconstructions et de recomposition des espaces politiques et finalement de la respiration des territoires dans la longue durée.

D’un point de vue méthodologique, nous serons attentifs au fait que retisser les fils d’une histoire dont le récit est habituellement interrompu (ou débute) à la fin de l’Antiquité oblige à tenir compte de la diversité des sources et nécessite de ne pas gommer les spécificités de chaque contexte.

 

Alexandre VLAMOS (docteur, ATER Université de Lille, France) - Territoire civique et souverainetés plurielles dans les cités grecques de la mer Égée (IIIe s. av. n.è. – Ier s. de n.è.).

Le pouvoir de la cité grecque sur son territoire a longtemps été conceptualisé à partir de la notion de souveraineté, pensée comme indivisible et ultime, sur le modèle des États-nations contemporains. Si cette approche a pu être critiquée pour les cités de l’époque hellénistique pour s’interroger sur leur indépendance à l’ère des rois hellénistiques puis de Rome, on a continué à prendre la cité, la communauté des citoyens, comme seule maîtresse d’un territoire qu’elle exploitait. Mais les études sur les subdivisions civiques et sur la propriété divine ont conduit à fragmenter les pouvoirs qui s’exerçaient sur le territoire civique. La cité ne dispose pas d’un pouvoir absolu sur l’ensemble de son territoire : pour certains territoires et dans certaines conditions, les communautés infra-civiques disposent d’îlots de souveraineté. L’objectif de cette communication, en se concentrant sur les cités insulaires de la mer Égée à l’époque hellénistique et au début de l’époque impériale, est d’étudier la pluralité des pouvoirs qui s’exercent sur le même territoire civique, d’en comprendre les hiérarchies et d’en délimiter espaces propres, en réfléchissant à l’utilisation du concept de « souveraineté » pour comprendre le rapport des communautés grecques à leur territoire. Je réponds ainsi à l’axe suivant de l’appel à communication : « Quelles co-spatialités les pouvoirs produisent ils et selon quelles modalités : coexistence, superposition, complémentarité́, concurrences, voire confrontation des différents pouvoirs sur un même territoire ? »

Ma communication partira des sources épigraphiques et mettra en valeur l’importance de la démarche, de la part des cités et des communautés infra-civiques, de voter un décret, de le faire inscrire sur une stèle et de l’ériger dans un espace public afin de rendre intangibles les frontières de leur pouvoir sur un territoire, frontières négociées entre plusieurs acteurs.

J’étudierai d’abord les relations entre la cité et les subdivisions civiques à Rhodes et à Cos : dans ces cités insulaires issues de la fusion de plusieurs communautés, ces dernières ont réussi à négocier avec la cité la conservation de certaines prérogatives territoriales ; je verrai ensuite, dans le cas de Délos, territoire attribué à Athènes par Rome après 168/7, la manière dont les pouvoirs respectifs de Rome, d’Athènes et des dieux entrent en tension dans une île au statut complexe ; enfin, je poursuivrai la réflexion sur l’intégration des cités grecques au cadre impérial en romain me demandant comment l’ajout d’une strate de souveraineté a pu modifier les équilibres internes de coexistence et de superposition des pouvoirs.

 

Pierre VEY (Doctorant École des Chartes, France) - Les bornages du territorium de Marseille (1275-1294) : une territorialisation née de l’émergence d’un nouvel équilibre entre la tutelle comtale et l’autonomie municipale. 

Entre 1275 et 1294, quatre bornages successifs furent réalisés pour délimiter le territoriumde Marseille, sur la demande du conseil de la ville basse, en butte aux empiètements supposés des seigneurs alentours qui menaçaient le privilège du vin dont jouissaient les producteurs viticoles locaux. Se présentant d’abord comme une pétition du comte-roi qui activa ses officiers locaux, l’affaire, à force de contestations, finit par être portée devant les instances supérieures de l’administration du comté pour se solder par l’intervention d’un juriste spécialement mandaté. L’objectif de cette communication est de montrer, à travers les documents qui permettent de suivre cette longue procédure judiciaire, comment, graduellement, un espace relativement mouvant défini par un ensemble de droits banaux put se concevoir comme un territoire, dont l’émergence venait résoudre des conflits latents entre les différents pouvoirs impliqués dans l’affaire. D’abord, il s’agira de souligner combien cette territorialisation par cristallisation est le résultat de l’affirmation des intérêts paradoxalement solidaires de la municipalité de la ville basse de Marseille (gain d’autonomie) et de sa tutelle comtale (capacité à catégoriser et hiérarchiser les pouvoirs subalternes), la première jouant des actes entérinant sa soumission à la seconde pour faire valoir une marge de manœuvre plus large et suscitant l’intervention de l’administration comtale pour statuer sur les rapports de force locaux ainsi réinscrit dans les structures du comté. À ce premier processus, s’ajouta le recours croissant au droit, autant du côté de la municipalité que de sa tutelle, qui permit d’abord de formaliser la procédure, rendue de la sorte incontestable (le bornage final reposait sur l’enquête d’un légiste,) et ensuite d’en tirer les profits tout en la sanctuarisant (émission d’un nouveau statut par la municipalité à la suite du bornage final pour affirmer sa compétence sur le territorium). C’est à travers ces deux mouvements parallèles, le règlement des rapports de force par leur inscription dans l’espace et la formalisation du territorium comme objet juridique, que se joua graduellement la territorialisation, l’espace du territorium changeant de qualité, de contenu à la faveur de son investissement par des logiques politiques et juridiques. Ainsi, on montrera comment les bornages du territorium de Marseille permirent la définition d’un territoire par le jeu de deux acteurs obéissant à des logiques opposées (renforcement de la tutelle princière, élargissement de l’autonomie de la municipalité) et pourtant convergentes, par le truchement d’un personnel commun (les juristes), une définition qui fut le lieu d’une évolution des rapports de force à l’échelle locale.

 

Nicolas VIDONI (MCF, Aix-Marseille Université, France) – La territorialisation du pouvoir en temps de crise pendant la peste de 1720-1724.

Les cadres territoriaux d’exercice du pouvoir ne sont pas intangibles, comme le montrent les conflits de compétences qui ont toujours existé dans la France d’Ancien Régime, en particulier à l’échelle des villes.

Les crises sanitaires apparaissent dans ce cadre comme des moments de reformulation de l’exercice du pouvoir, de la dimension spatiale et territoriale de ces pouvoirs, et de leur expression. Le cas de la peste de 1720-1724 en Provence, touchée par l’épidémie, permet de le comprendre. Dans ce moment d’exceptionnalité juridique, ou « d’état d’exception », la monarchie aurait décidé, selon le schéma interprétatif classique, de se substituer aux pouvoirs locaux. Or, ce schéma doit être nuancé pour saisir les nouvelles territorialités des pouvoirs.

En effet, une rupture spatiale et temporelle forte existe entre le Conseil du roi et les agents de la monarchie dans les provinces. Elle renforce la vacance du pouvoir, compte-tenu du fait que l’intendant et les élites urbaines quittent Aix (la capitale administrative) et Marseille (la principale ville) pour fuir la peste. L’intendant est soumis à une itinérance marquée par des contraintes matérielles fortes, qui l’empêchent d’exercer son autorité et l’amènent à inventer des formes de gouvernementalité nouvelles que la monarchie elle-même juge trop novatrices. Elles visent à gouverner de manière équivalente toute la province et vont contre les droits des communautés et des corps.

Le deuxième aspect peut être analysé à l’échelle d’une ville. L’exemple d’Aix permet de comprendre comment l’absence physique des élites urbaines a permis la création de nouvelles expériences territoriales du pouvoir, qui ont suscité au sein d’une partie de la population des résistances fortes marquées dans l’espace urbain par l’appropriation de lieux publics et/ou communs.

Enfin, et c’est le troisième aspect de cette étude, cet épisode a renforcé l’importance des communications entre les agents fixes et les agents mobiles, et a renforcé la dimension bureaucratique de l’administration du territoire à plusieurs échelles : étatique, provinciale, urbaine et micro-locale.

Cette communication repose sur l’étude des fonds de l’intendance (série C des Archives départementales des Bouches-du-Rhône), du Contrôle général (Archives Nationales et BnF) et des archives municipales d’Aix et Marseille (correspondance des consuls et échevins, séries BB ; documents produits pendant les épidémies (séries GG)) ainsi que sur quelques récits de peste et un fonds de cartes qui, bien que produites avant ou après la peste, permettent de mettre en lumière les logiques spatiales de cette nouvelle territorialisation des pouvoirs.

 

Session - Familles aristocratiques et possessions foncières (président de session : Michaël Gasperoni)

Frédéric HURLET (PU Université Paris Nanterre, France) - Les sénateurs augustéens dans leurs domaines. Empreinte territoriale, richesse foncière et visibilité du pouvoir.

Fondé sur l’exercice de fonctions au service de la res publica, le statut de sénateur était inséparable des possessions foncières qui lui permettaient de remplir les conditions censitaires pour faire partie du Sénat et dont l’exploitation lui assurait les moyens de se consacrer à une carrière politique à plein temps. Cette étude vise à montrer comment la prise du pouvoir par Auguste à l’issue d’une guerre civile reconfigura les richesses des sénateurs en Italie et leurs empreintes sur les domaines en leur possession. Elle procédera à une telle recherche à partir de des trajectoires de deux sénateurs qui ont en commun d’avoir choisi le camp d’Auguste ou de s’être rallié au futur vainqueur, mais dont les destins différèrent par la suite : d’abord celui de L. Tarius Rufus, qui s’enrichit fortement dans un premier temps avant de finir totalement ruiné, au point que son fils refusa l’héritage ; ensuite celui de L. Munatius Plancus, dont le patrimoine financier résista sur plusieurs générations (enfants et petits-enfants). Cette étude sera aussi l’occasion d’étudier comment et pourquoi ce groupe social renforça son empreinte territoriale dans les domaines en leur possession d’abord en Italie.

 

Maxime FULCONIS (docteur, UMR 8596 Centre R. Mousnier, France) - Principauté territoriale ou principauté familiale ? Les manifestations du pouvoir des Marchiones sur l’Italie centrale au XIe siècle.

Au cours du XIe siècle, la famille des Marchiones étend son influence sur le centre de la péninsule italienne, entre Lucques, Spolète et Tarquinia. Ils dirigent alors une principauté semblable à celles que contrôlent plus au nord les Obertenghi, les Aleramici et les Arduinici, et similaire aux principautés territoriales françaises.

Le pouvoir de la famille repose alors sur l’établissement ou l’appropriation de deux types de territoires : d’une part, des circonscriptions administratives (comtés, duchés, marches) dont elle obtient la charge et, d’autre part, de divers types de territoires socio-culturels. Au quotidien, ce pouvoir se manifeste par la construction de fortifications, de ponts ou de curtes, le fait de tenir cour ou de rendre justice dans certains lieux, l’établissement de réseaux de fidèles, l’accumulation de terres et de droits, ou encore par une pratique de l’espace faite d’itinérance entre plusieurs lieux de vie, de parties de chasse ou de l’appropriation de certains lieux marqués jusque dans leur toponymie du sceau familial.

Nous proposons d’abord d’expérimenter en quoi les SIG permettent de représenter ces pratiques, ces manifestations du pouvoir et ces territoires, tout en dépassant certaines problématiques induites par la nature des sources. L’usage des cartes permettra également de mettre en lumière leur répartition dans l’espace et leur superposition spatiale, car le pouvoir des Marchiones et leur principauté reposent en grande partie sur des jeux de cospatialité. Ces outils permettront d’analyser et d’expliquer le fonctionnement de la principauté et ses manifestations territoriales, dont il est alors notamment possible de distinguer des « zones internes » et ses « zones externes ».

Enfin, nous proposons d’étudier les évolutions de ces phénomènes au cours du temps. Il s’agira pour cela d’explorer l’utilité du concept de « système complexe adaptatif » pour analyser les reconfigurations permanentes du pouvoir des Marchiones et de ses manifestations territoriales2. À chaque génération, les Marchiones modifient en effet leur rapport au territoire familial, processus qui les conduit à devenir au XIIe siècle de simples seigneurs territoriaux à l’influence et au comportement très local.

 

Denise BEZZINA (Post-doctorante, Università di Padova, Italie) - Expressions du pouvoir et territorialité urbaine à travers le cas des Alberghi génois (XIIe-début XVe siècle).

Dans le très varié contexte communale italien, les alberghi aristocratiques génois, connus grâce aux études de Jacques Heers et Edoardo Grendi, se distinguent comme un exemple particulier qui nous permet d’observer la relation entre le pouvoir de l’aristocratie et l’espace urbain tout au long de la fin du Moyen Âge. La particularité génoise réside non seulement dans l’originalité du phénomène, déjà soulignée par l’historiographie passée, mais aussi dans la disponibilité d’une documentation notariale extrêmement riche, dont les premiers exemples remontent au milieu du XIIe siècle. Dans une ville caractérisée par des subdivisions territoriales multiples et superposées (compagne, conestagie, contrate), il est donc possible de suivre l’évolution des associations aristocratiques (impliquant environ 200 familles de différentes tailles) dès le début de la période communale. Grendi avait souligné le caractère « démotopographique » des alberghi qui expriment un principe d’organisation de l’espace urbain basé sur l’appartenance à un cognomen commun. Grâce à une vaste enquête sur les sources notariales et les quelques registres fiscaux de la fin du XIVe et du début du XVe siècle, et en tissant un dialogue avec l’historiographie passée, la communication vise à reconsidérer la relation entre le pouvoir de la noblesse des alberghi et le territoire urbain à travers deux aspects principaux :

1)  Familles, territorialité et toponymie. L’influence des élites sur le développement du tissu urbain est évidente au niveau de la toponymie (plathea illorum de, contrata illorum de), déjà dès la fin du XII siècle, pendant une phase de mobilité et d’ascension sociale pour de nombreuses familles. Qu’est- ce que ces références nous montrent à propos de la relation entre une aristocratie en plein essor et l’espace urbain ?

2)     Alberghi, agencements résidentiels et topographie urbaine. Les familles aristocratiques commencent très tôt à s’enraciner dans certains quartiers, investissant massivement dans la construction de complexes résidentiels aux caractéristiques distinctives. Quelles sont les conséquences spatiales de ces stratégies résidentielles et quel impact ont-elles à long terme sur la sociotopographie urbaine ? Quelle est la relation entre ces « îlots » résidentiels et les subdivisions territoriales administratives (compagne, conestagie) ?

 

Elie HADDAD (CR-CNRS, EHESS-CRH, France), Valérie PIETRI (MCF, Université Côte d’Azur, France) – Les familles nobles et leurs seigneuries : une transformation de la spatialisation des pouvoirs dans la France moderne.

La possession de seigneurie est un élément fondamental du pouvoir de la noblesse sous l’Ancien Régime. Par ailleurs, la noblesse est diverse et le régime seigneurial est marqué par de nombreuses variations au sein du royaume de France. Cette communication se propose d’aborder la question de l’expression territoriale du pouvoir seigneurial à partir d’un échantillon de familles appartenant à la haute et moyenne noblesse provinciale et qui se caractérisent par la possession de plusieurs seigneuries, ce qui nous permet d’analyser le rapport spatial que ces familles pouvaient avoir avec leurs territoires seigneuriaux à différentes échelles. A l’échelle d’une seigneurie, quelle perception avaient-elles de ce territoire, comment marquaient-elles l’espace de leur pouvoir ? A l’échelle de leurs possessions, comment concevaient-elles la dispersion ou la concentration de leurs seigneuries, le pouvoir qu’elles leur conféraient, parfois bien au-delà d’une seule province ? Avaient-elles une politique spécifique d’acquisition ou de conservation de leurs seigneuries et qu’est-ce que cela peut dire de la manière dont elles concevaient l’espace de leur pouvoir ? Enfin et surtout, quelles évolutions peut-on noter au cours de la période moderne dans la spatialisation de ce pouvoir seigneurial à ces différentes échelles ? La communication comparera des familles de la France septentrionale et de la Provence, pour évaluer les éventuelles spécificités engendrées par deux histoires féodales, deux régimes juridiques et deux fondements de la possession seigneuriale différents.

 

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